Il semblerait que les enseignements tirés des attentats de 2015 à Paris et en proche banlieue soient sur le point de devenir réalité dans la loi. Six ans après les attaques terroristes contre le journal Charlie Hebdo, le supermarché Hyper Cacher, la salle de spectacle du Bataclan et plusieurs terrasses de cafés et restaurants, certains agents de sécurité privée pourront être armés sous conditions, à partir de 2021.
« Entre ces événements et l’aboutissement de la réflexion administrative, juridique et législative, il aura fallu beaucoup de temps », observe Cédric Paulin, secrétaire général du Groupement des Entreprises de Sécurité (GES).
Entériner l’importance du secteur privé en matière de sécurité
Au départ, le gouvernement envisageait de rédiger un projet de loi d’orientation sur la sécurité intérieure mais à l’automne 2019, deux parlementaires, les députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, ont déposé une proposition de loi intégrant une quinzaine de dispositions relatives à la sécurité privée.
Dans le courant du mois d’octobre 2020, le ministère de l’Intérieur a fait savoir que le texte avait été remanié par ses soins et qu’il devrait entrer, rapidement maintenant, dans le processus de débat et de vote au parlement. Cette proposition de loi entérine une forme de reconnaissance du secteur privé dans le domaine de la sécurité, bien que la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 ait quelque peu rebattu les cartes au cours de l’année 2020.
« Les agents de sécurité ont continué de travailler durant cette période chaotique, notamment pendant le confinement de la France au printemps, pour assurer la sécurité des lieux de consommation indispensable comme les magasins d’alimentation, les pharmacies et les hôpitaux. Ils se sont retrouvés en première ligne, au même titre que les soignants, les caissières de supermarché ou les agents chargés de la propreté, sans que cela soit reconnu par les responsables politiques et les médias », déplore Cédric Paulin.
Des missions qui restent préventives
Les attentats de 2015 avaient pourtant agi comme un électrochoc au sein de la profession mais également auprès de la puissance publique, police, gendarmerie et armée.
Par la suite, tous les drames qu’a connu le pays, l’attaque au camion sur la promenade des Anglais, à Nice, le meurtre du prêtre Jacques Hamel dans son église de Saint-Etienne- du-Rouvray, près de Rouen, ou plus récemment l’agression au hachoir de boucher à proximité des anciens locaux de Charlie Hebdo, la décapitation de Samuel Paty, enseignant à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines et l’attentat au couteau dans la Basilique Notre-Dame à Nice faisant 3 morts, ont nourri la réflexion sur un meilleur partage des rôles entre sécurité publique et sécurité privée.
« Prises une par une, ces tragédies n’ont pas nécessairement eu d’impact sur les mentalités mais elles ont confirmé la pertinence du débat et l’urgence qu’il y avait à légiférer », souligne Cédric Paulin.
C’est d’ailleurs en prenant du recul sur une trentaine d’années que l’on mesure combien l’évolution des missions de la sécurité privée a été forte. Les agents de sécurité privée n’ont pas les prérogatives des forces de police et de gendarmerie. Ils n’ont pas le droit de patrouiller sur la voie publique, sauf si la préfecture leur donne une autorisation, et ils n’ont pas le droit d’utiliser la force hors cas de légitime défense.
La sécurité privée agit, en somme, exclusivement à titre préventif, en répondant à la demande des entreprises dans le cadre de contrats commerciaux. Au départ, la sécurité privée, sa croissance et ses compétences, ont été uniquement liées à « des phénomènes d’insécurité de bas niveau, comme la petite délinquance d’appropriation, les incivilités, et non à la lutte contre le terrorisme », rappelle le représentant du GES.
Repenser le sens de la sécurité privée
En effet, le terrorisme « n’entre pas a priori dans son spectre d’activités », même si sa régulation a tout de même été guidée, plus ou moins directement selon les cas, par des actes terroristes.
C’est ainsi qu’en 1983, la loi réglementant les activités privées de sécurité fonde une nouvelle doxa marquée par la reconnaissance du phénomène de violence et d’insécurité, réelle ou ressentie, au cours des années 1970.
À partir de 1985, la France est frappée par une première vague d’attentats islamistes, ce qui accélère la parution des décrets d’application de la loi de 1983, qui étaient alors toujours en attente.
C’est en 1995 qu’apparaît pour la première fois la notion de « coproduction de sécurité ». Mais à l’époque, tempère Cédric Paulin, il s’agit surtout de « décharger les forces de police et de gendarmerie d’un certain nombre de missions, que d’une réponse à un contexte terroriste ». Cette année-là pourtant, la France est secouée par huit attentats à la bombe qui feront huit morts et près de 200 blessés. Les parlementaires prennent alors acte de ce contexte nouveau dans le cadre de discussions sur une loi relative aux transports et l’associent à la nécessité de faire des économies budgétaires. Ils ouvrent dès lors la voie à une privatisation partielle des contrôles dans la sûreté aéroportuaire.
L’étape suivante se produit à la suite des attentats du 11 septembre 2001, aux Etats-Unis. Quelques semaines après, le législateur français adopte une loi sur la sécurité quotidienne qui étend le champ de compétence des sociétés privées, toujours en matière de palpation et en reconnaissant également, au sein de la loi de 1983, les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
En 2006, alors que Madrid et Londres ont été à leur tour la cible de terroristes, la loi française autorise les personnes morales de droit privé faisant face à des risques d’attentats terroristes à installer des caméras de vidéosurveillance aux abords de leurs bâtiments, et non plus seulement en leur sein.
La dernière étape interviendra en 2014, avec une nouvelle loi prétendant répondre à la problématique de la mobilité internationale des terroristes. « Aujourd’hui se pose la question non seulement des effectifs de la sécurité privée, mais aussi des missions et prérogatives, ainsi que de la formation », se félicitent les acteurs du secteur, « le sujet est enfin abordé de manière structurante et proactive ».