Donner un nouveau départ à la sécurité privée en France. Tel est l’objectif de la loi du 25 mai 2021 « Pour une sécurité globale préservant les libertés », un texte que l’Etat et les acteurs de la profession jugent marquant. Mais au-delà du consensus de façade, les appréciations divergent quant au contenu précis du texte, dont les décrets d’application donnent lieu à de nouveaux débats. « La loi de sécurité globale est la plus grande loi de sécurité privée depuis dix ans, en termes d’ambition et de volume de mesures nouvelles », estime Vincent Ploquin, adjoint à la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur.
D’après le haut fonctionnaire, « les appels de la profession ont clairement été entendus par les politiques » et il y a « des avancées très concrètes par rapport aux préoccupations du secteur », sur le renforcement de la formation des agents de sécurité par exemple, ou sur l’encadrement de la sous-traitance, « même si la loi ne va peut-être pas aussi loin que certains l’espéraient », admet-il.
Désormais, la sécurité privée est « l’activité économique la plus réglementée en France » en matière de sous-traitance. « Aller au-delà aurait porté atteinte à la libre entreprise et se serait avéré dangereux pour les opérateurs », assure Vincent Ploquin, en écho à ce qu’il a pu argumenter en public lors du congrès du Groupement des entreprises de sécurité (GES), qui s’est tenu le 16 septembre 2021 à Marseille.
« La loi de sécurité globale est la plus importante intervenue dans le domaine du continuum de sécurité depuis la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi) de 2011 », a déclaré ce jour-là le préfet Olivier de Mazières, délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité, considérant que les entreprises de sécurité privée devaient « s’appuyer sur le socle nouveau » qui résulte de cette loi pour « s’extraire d’un modèle encore trop répandu de prêt de main-d’œuvre à faible valeur ajoutée ».
L’opinion du GES est beaucoup plus mitigée : « Comme l’a dit notre président Luc Guilmin au congrès du 16 septembre, nous estimons que la loi de sécurité globale ne va pas assez loin dans la transformation du secteur, du fait de la frilosité des parlementaires », indique Cédric Paulin, secrétaire général de l’organisation patronale. Le GES voit néanmoins dans les concertations sur les textes réglementaires et les ordonnances à venir de nouvelles « opportunités » de se faire entendre.
La sous-traitance
Prenons le sujet de la sous-traitance. La loi du 25 mai 2021 encadre cette pratique, en laissant entendre qu’une entreprise de sécurité ne peut sous-traiter que jusqu’au deuxième niveau. « Cela va certes limiter la sous-traitance en cascade, mais si à l’obtention d’un contrat, l’opérateur ne peut pas tout exécuter en raison d’un trop plein d’activité, il est normal qu’il puisse sous-traiter. Mais pour quelles raisons ce sous-traitant, précisément choisi, serait-il alors lui-même autorisé à sous-traiter de nouveau ? » souligne Cédric Paulin.
La garantie financière
Autre sujet sensible : la garantie financière. « Nous n’avons pas été convaincus par les arguments qui nous étaient présentés sur ce que cette garantie serait supposée apporter et par conséquent sur son absolue nécessité », rapporte Vincent Ploquin au ministère de l’Intérieur, qui rappelle qu'une telle mesure, compte tenu de l'atteinte qu'elle représente à la liberté de commerce et d'industrie protégée par la Constitution, aurait nécessité de très solides et impérieuses justifications.
Autant la garantie financière « fait sens dans certains métiers », comme celui d’agent de voyage (lorsque celui-ci fait faillite et que des individus ont payé des billets d’avion à l’avance) ou celui de l’intérim (pour assurer le versement du salaire à la personne qui travaille sous ce régime), autant elle « ne peut pas fonctionner pour la sécurité privée », selon lui : si la prestation de sécurité s’effectue dans le cadre d’un contrat et que l’opérateur fait faillite, la prestation n’est pas réalisée et elle n’est pas payée, « c’est simple et cela ne conduit pas à ce que des personnes soient réellement lésées ».
Cette question n’a pas vraiment été étudiée par les pouvoirs publics, rétorque le GES. « Nous souhaitons qu’un garant puisse intervenir lors de la création d’une société de sécurité privée, comme cela existe dans une cinquantaine d’autres secteurs d’activité, pour s’assurer que les cotisations sociales seront bien payées », observe Cédric Paulin, rappelant que si le secteur compte au total 3 500 entreprises, auxquelles il faut ajouter 8 500 autoentrepreneurs, on dénombre chaque année 600 créations d’entreprises et 600 liquidations, ce qui est énorme.
La sécurité incendie
Troisième sujet à controverse : la reconnaissance de la sécurité incendie comme profession réglementée. « Un rapport gouvernemental va être rédigé à l’horizon de dix-huit mois. La loi étant issue d'une proposition parlementaire et non d'un projet de loi, le travail d'évaluation préalable, l'étude d'impact obligatoire à présenter en même temps que le texte, n'avaient pas pu être réalisés. Or, compte tenu des conséquences d'une telle proposition, il nous est apparu plus sage de mener un travail d’évaluation, afin de juger en connaissance de cause de l’opportunité de cette mesure. Nous n’avons donc pas opposé de fin de non-recevoir absolue », précise Vincent Ploquin. Une manière de renvoyer le sujet « aux calendes grecques », dénonce le GES.
L’alternance
Quatrième sujet qui préoccupe les professionnels, la formation en alternance n’a pas non plus été vraiment tranchée. Si le gouvernement fait remarquer que l’alternance existe déjà dans la sécurité privée, « pour la filière BTS et les diplômes nécessitant davantage que le contingent de 175 heures de la formation initiale », il reconnaît qu’elle se « prête mieux » aux grandes entreprises qui disposent d’un personnel dédié à la formation. « Dans la sécurité privée, il faut nécessairement avoir sa carte professionnelle pour exercer, d’où notre demande d’une carte professionnelle d’alternant sur les postes prévus pour la certification,
afin de ne pas devoir attendre l’exécution des 175 heures de formation initiale. Ou alors, on fait de l’apprentissage de façon dévoyée », analyse Cédric Paulin pour le GES.
En filigrane, c’est la question du temps qui apparaît. « La loi du 25 mai 2021 va dans le sens d’une montée en compétence des agents de sécurité, insiste Vincent Ploquin, mais c’est avec la réforme du CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) que nous obtiendrons de réelles avancées », en particulier sur sa rapidité de réaction. Le CNAPS est en effet jugé trop lent dans ses instructions, à travers les commissions locales, pour la délivrance des titres professionnels et la prise de mesures disciplinaires.
Le Parlement a autorisé le gouvernement à intervenir par ordonnance, pour « repenser le fonctionnement » de cet établissement public. Objectifs : raccourcir les délais d’embauche et homogénéiser la jurisprudence des sanctions sur l’ensemble du territoire national. « En prévoyant d’intégrer l’enseignement des principes de la République à la formation initiale, la loi laisse entendre que la profession ne respecte pas ces principes, cela continue de montrer une certaine défiance à l’égard de notre métier », s’insurge au passage le GES. Et de souligner que pour un cas de violence de la part d’un agent de sécurité, « il y a dix cas de violence verbale ou physique à l’encontre des agents de sécurité. »
A cet égard, pointe pour sa part Vincent Ploquin, « la profession a justement été entendue », avec la reconnaissance de circonstances aggravantes en cas de délit ou crime à l’encontre d’un agent de sécurité. « Celui-ci est dorénavant assimilé aux personnes spécialement protégées par la loi au regard de l'intérêt général de leur mission, c’est un vrai saut qualitatif, qui protège et responsabilise l’agent de sécurité privée », conclut le haut fonctionnaire.